Chủ Nhật, 6 tháng 9, 2015

Du regard des autres.

9 mois. 
9 mois que mon silence fait un boucan colossal dans mes pensées. 
9 mois que je n'arrive pas à terminer une phrase. Que je ne sais pas par où commencer non plus. 
9 mois que ce clavier me fiche la frousse. 

Je reste impassible, immobile devant ce rideau blanc. Je fixe cette petite barre verticale tout en haut à gauche de l'écran qui clignote. Les heures passent. Les jours suivent. 9 mois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. 
Une panne? Un manque d'inspiration? Le manque de temps? Pire.

La peur. 

Du regard des autres. 



Après une après-midi en famille, au moment de partir pour rentrer chez nous et après avoir fait des dizaines de bisous d'au revoir, Lou refuse catégoriquement de s'asseoir dans le siège auto. Elle se contorsionne, hurle, se débat, se raidit. Son angoisse est bien trop grande pour que je puisse entrer en contact avec elle et essayer de comprendre ce que j'ai pu louper. Elle ne m'entend pas. Elle ne peut faire autrement que de laisser tout son corps lâcher toute sa colère. Je continue de lui parler, tout doucement. J'essaye de la serrer contre moi. De lui expliquer, encore. J'essaye, en vain. Ses cris se noient dans ses larmes. 

Autour de moi, ILS sont là. Ils me scrutent, n'en perdent pas une miette. Spectateurs de mon échec, témoin de ma défaillance. Et là, le trac. Comme si j'étais sur scène. J'ai oublié mon texte, les projecteurs m'aveuglent, je me sens observée. Jugée. Mes pensées se bousculent. Je sais ce que je dois faire : continuer de l'écouter, de la considérer et rester bienveillante. Pourtant, la pression est trop forte. Mes yeux se noircissent presque malgré moi. Ma bouche se pince. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils pensent, debout, face à moi. Je ne les vois pas vraiment. Je ne les regarde même pas. Je les subis. Une pensée revient sans cesse. Je n'arrive plus à l'ignorer. "Ils doivent se dire que je ne sais pas faire, que je ne sais pas être maman!" J'ai envie de leur aboyer que si, je sais! Que j'ai lu des livres, assisté à des conférences. Je suis même en train de préparer le concours d'éducateur. Des excuses... 

Pourquoi? Pour quoi? 

Finalement, je ne laisse plus le choix à Lou. Ma voix devient sévère. Je ne dois pas perdre la face. Je l'attache vite fait dans son siège et ferme la porte de la voiture pour étouffer ses cris. Pour étouffer ma honte. J'affronte enfin leurs regards, avec l'air désolée. Comme si je voulais qu'ils me pardonnent, qu'ils pardonnent ma fille. 

Le ridicule à son paroxysme. 

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C'est l'heure du déjeuner au Pigneroux, un village vacance dans le sud de la France. Je crève de faim. Lou a tété toute la nuit et n'avait donc pas faim à l'heure du petit-déjeuné. Je prépare le terrain depuis 2h. Si Lou n'a aucun problème d'appétit avec sa mamie-nounou, avec moi c'est une autre histoire. Le restaurant est noir de monde. Il y a de la musique et tout le monde parle très fort. Je choisis une table et propose à Lou de choisir entre la chaise haute ou le rehausseur. Elle me montre la chaise haute du doigt. On va au buffet prendre nos plats. Je lui dis que j'ai très faim et que je suis très contente de manger avec elle ! On s'assoit et je lui demande si elle veut manger seule ou si elle a envie/besoin que je l'aide. Le volume de la musique augmente. Elle tape dans ses mains, elle est heureuse. D'un coup, elle a envie de danser. Elle se met debout sur la chaise. La nuit a été mauvaise. Je suis épuisée et affamée. Je tape des mains aussi et lui dis qu'aussitôt le repas terminé, nous irions danser toutes les deux. Elle refuse de s'asseoir. J'explique que j'ai vraiment très faim et que je dois prendre des forces pour danser longtemps. Les négociations continuent. J'ai la tête qui tourne. Je suis tellement fatiguée.

Autour de moi, ILS sont la. Jetant un coup d’œil discret mais appuyé. Assis à table avec leurs enfants, immobiles, qui déjeunent tranquillement sans faire le moindre bruit, déjà depuis de longues minutes. Lou s'impatiente carrément. Elle veut danser et maintenant. Elle veut bouger, marcher, courir, faire "coucou" à tous ces gens. Elle me pousse avec sa main pour que mes bras desserrent l'étreinte. Fuit mon regard, relâche son corps, tord sa bouche...et hurle. Au moment où son pied touche le sol, son visage s'illumine de satisfaction. Elle se met à courir. Les autres enfants sont toujours assis. Ils ne mangent plus mais ne bougent toujours pas. Leurs parents me regardent, navré. "Oh le beau caprice! Faut pas vous laissez faire !" lâche mon voisin. "Non! Les caprices n'existent pas! Il y a trop de monde, trop de distractions. C'est un enfant, elle respire pour découvrir et jouer. Elle n'est pas faite pour rester des heures à table." Oui... C'est ce que mon corps tout entier voulait lui crier.

Mais mon cerveau, lui, est parfois un lâche. 

J'ai souris, hypocritement. J'ai hoché la tête, honteusement. J'ai filé dans notre chambre, Lou dans les bras. Je ne lui ai pas adressé un mot. Je ne lui ai pas expliqué pourquoi nous étions parties si vite. Je ne pouvais même pas la regarder. Un sentiment horrible venait de me transpercer le cœur : je lui voulais. "Puisque tu refuses que je mange, que je dorme, ou même que je vive, et bien on va rester la un moment et tant pis pour toi!" Et voila. Moi, la militante affirmée anti VEO*, j'avais plus que franchi la limite. Je n'ai pas pu m'excuser tout de suite. Je n'avais plus la force. Il n'y avait plus personne pour me voir, plus personne pour me regarder échouer avec ma fille. Échouer avec moi-même. Mais tout le monde était là, dans cette petite chambre perdue au milieu des Hautes Alpes, me chuchotant :

                                                "et maintenant, tu vas faire quoi?"


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Samedi après-midi, dans un supermarché. Je cherche une pièce à mettre dans le caddy. C'est l'été, il faut chaud. A Lou, je lui explique que l'on va faire quelques courses et lui demande si elle veut bien m'aider. Elle sourit de toutes ses dents. A peine rentrée, tout ce monde m’oppresse. Je n'imagine même pas ce que doit ressentir Lou face à toute cette exaltation.  J'ai prévu des gressins et quelques jouets. Elle veut s'asseoir. On se perd dans les rayons. On visite presque. Je n'ai pas fais de liste. Je ne fais jamais de liste. Je lui montre les fruits, les légumes. Elle veut toucher, sentir et parfois goûter. Son intérêt m'amuse ! Je lui parle des recettes que l'on va pouvoir faire ensemble. Les minutes défilent. Le caddy ne se remplit pas vite. Je me dis que ça serait dommage d'y passer tout l’après-midi. J'accélère un peu. J'ai du mal à me concentrer sur ce dont on a besoin. Je n'ai jamais réussi a faire deux choses en même temps. Mon budget est serré. Je compte dans ma tête. Les minutes défilent plus vite. Lou s’ennuie. Elle s'agite. Trop tard, j'ai perdu son attention.

Elle veut descendre et marcher. Il y a beaucoup trop de monde mais j'accepte à condition qu'elle reste près de moi. A peine posée par terre, elle part en courant. Je lâche tout et la suis. Je me mets à sa hauteur et lui explique qu'elle pourra courir au parc tout à l'heure mais qu'ici, il est important qu'elle marche avec moi. Elle rit. Je souris et lui fait un bisous. Elle se remet à courir. Moi aussi. Je la prend dans mes bras. Je réitère ma demande, je réitère mes explications. "Où j'ai foutu mon caddy?" J'ai oublié mon sling.

Autour de moi, ILS sont la. Pressés, fuyants mais pesants. "Pardon!" Oui, on est au milieu et on gêne. Ils n'ont pas que ça à faire, un samedi après-midi. Ils n'ont pas que ça à faire de voir une petite fille de 2 ans qui n'écoute pas sa mère. C'est définitif, Lou en a marre. "Allez, aide moi ! Regarde, tu me prends ces fraises?" Les fraises font un vol plané jusqu'au pied d'une dame. "Faudra les payer!" qu'elle me dit cette vieille peau. Bordel, ma patience, est restée au rayon "pâte, riz, semoule". J'ai les boules. Lou a réussi à choper le rouleau de sac plastique qu'elle s'éclate à dérouler dans sa presque intégralité. Et, de nouveau, je me sens prise au pièges des projecteurs. Mauvaise comédienne d'une pièce en trois actes sur "pourquoi l'éducation bienveillante ne fonctionne pas". Je suffoque. C'est vrai que je suis fatiguée en ce moment. C'est vrai que ce putain de terrible two se tape l'incruste depuis quelques mois déjà. Mais merde, je suis I am une maman ! Je suis cette administratrice de deux groupes Facebook et deux pages dédiés au maternage et à l'éducation bienveillante. Je suis cette mère membre de l'OVEO*. Je suis cette mère qui donne des conseils et apporte mon soutien à celles qui luttent, à celles qui se cherchent. Je suis cette mère qui pense à sa fille en 1er, qui se fiche royalement des autres, qui s'assume.

Et je suis cette mère qui ne sait plus, qui n'y arrive plus. 

Mes doigts s'enroulent autour de son tout petit bras. Ma main l'agrippe et mon bras la tire vers moi, brutalement : "STOP maintenant !" J'ai crié. J'ai crié avec ma bouche et avec mon corps. Ses yeux s’écarquillent. Elle me regarde mais ne me reconnait pas. Elle a sursauté. Je lui ai fait peur. Je n'arrive pas à la lâcher. Elle ne pleure pas. Elle attend. ILS sont toujours la. Je les imagine satisfait. Comme dans Le Horla, je deviens tarée et ma créature invisible à moi, c'est Les Autres. Tous les autres. Lou s'approche plus près et essaye de m'arracher mon débardeur. Elle veut téter. Elle tète toujours où elle veut, quand elle veut. Je suis accroupie, en sueur, et les seins à moitié à l'air en plein milieu de Carrefour, devant des dizaines de personnes qui ne perdent pas une miette de notre petit spectacle. "NON !" Voila, maintenant elle hurle. Je ramasse mon sac, remet mon sein dans mon soutien gorge, la soulève sans douceur du sol et m'enfuis vers la sortie.

Je suis restée un moment sur le parking, à côté d'une voiture qui n'était pas la mienne. A bercer Lou comme quand elle était bébé. A m'en vouloir terriblement de porter tant d'attention à des inconnus, dont je ne suis même pas sure de savoir ce qu'ils pensent réellement.

A me dire qu'il serait temps que ça change.

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"Ne fais pas ça, tout le monde te regarde!", "Tu l'allaites là? Devant tout le monde?",  "Mais que vont penser les gens si elle pleure trop fort?", "Tu n'as pas honte, on ne voit que toi" 



Depuis que Lou est née, depuis la toute première seconde, je suis la maman que je veux être. La seule que je puisse être. J'ai su que rien d'autre ne comptait plus que ce petit être et que personne n'arriverait à me faire flancher. J'ai assumé mes idées et je me suis battue pour les faire respecter. Je me suis même dis que cette assurance dans mes certitudes pourraient, peut-être, servir à d'autres. Que je pourrais partager mon expérience, mes idées, ma vision de la parentalité. J'ai découvert le plus bel objectif de ma vie, d'une vie : être maman.

Mais être maman, c'est être humain. C'est avoir des failles, des doutes, des peurs, des besoins. C'est être parfois trop fatiguée pour arriver à lâcher prise. Etre maman c'est accepter de faire des erreurs mais essayer de les comprendre pour pouvoir se remettre en question. 

Et être maman, c'est aussi se retrouver sous le feu des projecteurs, sans cesse observée, conseillée, jugée. Le perpétuel combat entre la bonne et la mauvaise mère, entre le choix de telle ou telle éducation.

Et d'un coup, notre bébé grandit. Ce qui était simple et évident ne l'est plus. Du tout. On se dit que ça va passer, mais ça ne passe pas. On se dit qu'en théorie on sait. Mais on ne sait plus. La fatigue prend le dessus, une fois et encore une fois. On devient vulnérable face à des regards que l'on devrait ignorer. On devient sensible à des remarques que l'on ne devrait pas écouter. On en vient presque à douter, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, de nos certitudes.

Et alors, tout devient flou, incertain. Il y a une tornade qui souffle sur nos convictions, et elle s'habille en 3 ans. Une tornade qui dit "non" plus souvent qu'elle dit "maman". Une tornade qui nous pousse dans nos derniers retranchements, jusqu'au bout de nous. Ma fille grandit, moi aussi. Et c'est dur, pour nous deux. Prendre conscience que son enfant est tel qu'il est...et non tel qu'on l'imaginait.

Je pourrais prétendre manquer de temps pour écrire, mais ce n'est pas vrai. Je pourrais dire que c'est difficile d'être maman solo, bosser 40h/semaine, préparer un concours et tenir un blog, mais ce n'est pas vrai non plus. J'avais besoin de recul. J'avais besoin de comprendre d'où venait cette importance soudaine que je donnais aux autres, à leurs regards sur mes choix éducatifs. J'ai eu honte autant que j'ai eu peur. Je pensais manquer de crédibilité. Avais-je le droit de donner mon avis et de partager mes expériences, alors j'étais soudain prise au piège d'un sombre paradoxe. Et tu sais quoi? Je m'en fous! J'ai des choses à dire, des choses à partager. Et peut-être que c'est humain de rechercher l'approbation et l'acceptation. Peut-être que je ne suis pas la seule...

Ce que je sais, c'est que nos enfants, eux, n'en ont rien a carrer des gens! Ils s'en foutent de danser en plein milieu d'un restaurant juste pour le plaisir de danser. Ils s'en foutent de téter, devant une dizaine de personne. Ils s'en foutent d'oser hurler et pleurer parce qu'ils n'ont pas envie de quitter une fête. Ils s'en foutent de se lancer à corps perdu dans une partie de trappe-trappe, entre les caddys et les rayons d'un supermarché. Eux, ils vivent! Ils jouent, ils rient, ils pleurent, ils aiment! Peu importe qui les observe, peu importe ce que l'on pense d'eux, peu importe l'image qu'ils renvoient. Mais pour combien de temps encore? A quel moment et pourquoi, d'un coup, l'avis des autres devient important? A quel moment Lou ne va plus vouloir danser pour ne pas que l'on se moque d'elle? A quel moment Lou ne va plus vouloir être qui elle est vraiment, pour ne ps être jugée? Et si c'était nous, leurs modèles, leurs exemples, leurs parents, les fautifs?

Nous, qui faisons attention, sans cesse, à ne pas se faire remarquer, à ne pas déranger, à ne pas être "trop" ou "pas assez"? Est-ce qu'être différent et l'assumer nous empêcherait vraiment d'être accepté? Aimé?
Moi, qui n'ai jamais douté, ni un seul instant, de la nécessité de la bienveillance absolue dans l'éducation, mais qui, par peur d'être cataloguée "incapable" ou "laxiste", ai fini par accorder plus de crédit au regard d'une vieille peau outrée que je puisse consoler mon enfant en colère.

Aujourd'hui, c'est une promesse. La promesse de prouver à Lou qu'il faut vivre, sans retenue, sans s'effacer, sans craindre le regard des autres. Je lui montrerais que s'accepter est plus important que d'être accepter et que ses idées et ses croyances ont tout autant de valeurs que celles des autres.

Je veux encore que Lou court, à toute allure et même en plein milieu de carrouf, le sourire aux lèvres et les yeux illuminés. Et je veux courir avec elle!
Je veux encore que Lou danse, à en avoir la tête qui tourne et en riant, à en avoir mal au bide. Et je veux danser avec elle!
Je veux encore que Lou ai suffisamment confiance en moi pour vivre sa colère, crier, hurler et taper des pieds. Et je veux la serrer contre moi et l'aimer!
Je veux encore allaiter Lou, partout où elle veut et devant n'importe qui.

Je veux ignorer les autres, leurs regards, leurs critiques et agir comme cela me semble juste. Je veux écouter mon cœur et non cette petite voix dans ma tête qui me siffle des "tout le monde te regarde" en boucle. Je veux encore écrire sur la parentalité, même quand je ne sais plus être parent.


Je veux ressembler à ma fille, libre et heureuse. 
Je veux être MOI, autant qu'elle est ELLE ! 




*1 : VEO (Violence Educative Ordinaire

*2 : OVEO (Observatoire de la violence éducative ordinaire)


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